Diego Giacometti naît à Borgonovo (Suisse) en 1902, treize mois après son frère Alberto.
Son père (Giovanni) est peintre impressionniste et son oncle (Augusto) participe des précurseurs des tachistes des Années 1950. Pourtant, le jeune Diego ne manifeste que peu d’intérêt pour les études et ne semble nourrir aucune vocation artistique. Cette attitude à rebours de la tradition familiale s’explique sans doute par le poids d’un frère ainé précoce, qui manifeste une impérieuse maîtrise artistique dès 13 ans et aura toujours les faveurs de leur père. Il suivra donc sans entrain des cours de commerce, avant de vivre d'expédients et de petits boulots. Inquiète face à ce mode de vie, sa mère l’enjoint en 1925 à retrouver son frère Alberto à Paris … où Diego commencera par courir la vie nocturne et voyager à l’étranger. Ces atermoiements le mèneront ultimement en Égypte, où il découvre le mobilier funéraire antique et les animaux votifs du Musée du Caire qui semblent avoir durablement marqué son imaginaire et sa sensibilité.
En 1927, Diego Giacometti s’installe définitivement avec son frère dans un atelier de la rue Hippolyte-Maidron et s’appliquera à être l’indispensable praticien de son géant de frère. Durant quatre décennies, c’est lui qui réalisera les moulages en plâtre, le polissage les armatures métalliques et les patines des bronzes d’Alberto qui, fraternellement, reconnait en lui son "autre paire de mains" [1].Diego Giacometti était d’un caractère discret et effacé au point que Jean Genet disait de lui qu’il "avait fini par prendre la couleur de la poussière" [2].Pour autant, ce dévouement taciturne à son frère et sa personnalité dévorante n’entamèrent jamais ni son naturel ni son indépendance. Davantage alter ego que suiveur effacé, Diego fût également le modèle favori d’Alberto, au point de devenir l’archétype de ses mystérieuses têtes d’hommes.
Durant les Années 30, le décorateur Jean-Michel Frank fait appel aux frères Giacometti pour la création de luminaires et d’objets d’art en bronze et en plâtre. Là encore, c’est Alberto qui conçoit et Diego qui réalise. À travers cette collaboration - qui dure jusqu’au décès tragique de Jean-Michel Frank en mars 1941 – Diego Giacometti rencontrera toutefois une partie des grands couturiers, galeristes et amateurs mondains qui seront plus tard le noyau de sa propre clientèle.
Alors que la Seconde Guerre Mondiale fait rage, Alberto est retenu en Suisse à partir de 1942 et Diego reste à Paris, avec sa compagne Nelly. Séparé malgré lui de son frère, il accepte différents travaux parmi lesquels la conception de flacons de parfum et de présentoirs. Ce faisant, Diego Giacometti étend son exercice de la sculpture aux "arts décoratifs" et commence à assumer son propre génie inventif et esthétique.
Alberto revient à Paris après la Libération et retrouve avec bonheur son frère, qui recommencera à l’assister mais dont il encouragera l’émancipation créatrice. Diego Giacometti commence ainsi à produire des sculptures animalières et du mobilier en métal (un domaine volontairement éloigné du travail de son frère). Son premier animal recensé est un petit oiseau, qu’il pose en 1947 sur un lustre commandé à son frère. Quelques années plus, pour les cinquante ans d'Alberto en 1951, Diego imagine un candélabre orné de deux têtes de chevaux et à cinq bras de lumière, un par décennie, où l’ardeur du modelé le dispute à la poésie décorative et à la symbolique.
C’est à compter de cette année 1951, également, qu’il commence à créer pour les époux Maeght des meubles et objets décoratifs pour leur villa. Sous les doigts de Diego Giacometti se fait alors jour un bestiaire imaginaire, poétique et gracieux. Ces animaux qu’il sculpte pour venir les poser sur les branches des lampes, sur les entretoises des meubles, séduisent rapidement d’autres amateurs. Parmi eux notamment Pierre Matisse (qui représente Alberto en Amérique), le producteur de cinéma Raoul Lévy ou le couturier Hubert de Givenchy. Des ensembles complets lui seront également confiés comme le mobilier de la Fondation Maeght à Saint-Paul de Vence dont les travaux débute en 1962. Terrain d’expression du sacerdoce fraternel, le travail de Diego Giacometti reste étroitement imbriqué avec celui d’Alberto. Ainsi et en 1964, c’est en duo qu’ils réalisent leur célèbre "Chat maître d’hôtel", serviteur inattendu des oiseaux dessiné par Alberto et sculpté par Diego.
Puis, en 1966, Alberto meurt. La perte de son frère bouleversa Diego Giacometti qui se livrera alors entièrement à son travail. Cette dernière période dans sa création est celle où s’exprime le plus sa personnalité. Ses meubles s’érigent en véritables sculptures aux ossatures de bronze comme autant de tiges feuillagées parmi lesquelles veillent des hiboux, des chiens, des cervidés, des oiseaux ou des chats. Pour sa production personnelle, Diego Giacometti travaillera presque uniquement sur commande. "Elles sont un terrain fertile pour l’imagination", confie-t-il [3].Ses clients historiques continuent à le soutenir, rejoints par d’autres amateurs, tant en France qu’aux Etats-Unis (par le truchement de Pierre Matisse).Ils devront se montrer patient car Diego produit peu. Se définissant comme "meublier", il prend en effet le temps nécessaire à faire de chaque meuble une œuvre unique dialoguant avec le savoir-faire artisanal ancestral.
Cinq ans après le départ de son frère, celui dont l’art est désormais connu, reconnu et consacré s’autorise à signer ses œuvres. Considérant qu’un "Giacometti " s’entendait d’une sculpture de son frère ou d’un tableau de son père ou de son oncle, il signera simplement "Diego". Jusque-là il n’identifiait ses créations que par un monogramme calligraphié dans le plâtre ou frappé au marteau dans le bronze. Par contre, l’artiste refusera toujours d’exposer ses œuvres, vivant en artisan parmi ses chats et son mobilier puissamment poétique et à la présence sculpturale. Humblement, il continuera à dompter le plâtre et le traduire en bronze jusqu’à être fauché par une crise cardiaque le 15 juillet 1985, peu de temps avant que le public puisse admirer sa dernière œuvre : le mobilier et les lustres créés pour le Musée Picasso.
Toujours sage et généreux face à son fatum "d'artisan-poète" [4],Diego Giacometti aura patiemment développé un vocabulaire visuel unique, où la Nature s'égaille avec humour et fantaisie. Intime des deux frères, le photographe Henri Cartier Bresson la résumait ainsi : "Dans son œuvre se fondaient un rythme venu du fonds des temps, une sobriété et un humour où les arbres, les oiseaux, les grenouilles venaient le rejoindre." [5]
[1] in Daniel Marchesseau : Diego Giacometti, Hermann éditions, 2005, page 30.
[2] in L’Atelier d’Alberto Giacometti,1967.
[3] dans l’une de ses rares interviews pour le numéro d’aout 1983 du mensuel américain Architectural Digest.
[4] selon la formule de Daniel Marchesseau, op. cit.
[5] op. cit. page 24