ANDRÉ DUBREUIL (1951 - 2022)
"Dubreuil travaille dans la tradition des grands ébénistes du XVIIIe siècle et, comme tout vrai artiste, il transforme tout cela en quelque chose de neuf. Ceci est toujours le signe d’un artiste exceptionnel. C’est un des grands artistes de notre époque. Pour moi son art et son talent transcendent les arts décoratifs." [1]

ANDRÉ DUBREUIL (1951 - 2022)

AndréDubreuil nait à Lyon en 1951 et rencontre d’abord les arts décoratifs autravers des revues spécialisées que feuillettent ses parents. Vient ensuite ladécouverte de Ruhlmann - "un de mes Dieux, la qualité, l’excellence,j’ai toujours rêvé de cette qualité"[1]– et par lui d’une certaine tradition du mobilier français et de l’imaginaire décoratif.

Plus tard, après "avoir faittreize écoles et raté son bac", le jeune homme part pour Londres en1968 afinde suivre les enseignements de la Inchbald School of Design.  Il y étudie un an, tout en fréquentantassidûment la vie nocturne Londonienne où il rencontre artistes et créateur.ice.set s’imprègne de la flamboyance Pop de la fin des années 60. De retouren France, il s’inscrit en 1969 à l’Académie Charpentier où ilconsolide ses connaissances en design et décoration d’intérieure. Comme àLondres, Dubreuil est assidu un an avant de retourner à ses pérégrinationsnoctambules et culturelles. Puis, tel Rimbaud[2] : "Un beau soir,foin des bocks et de la limonade, Des cafés tapageurs aux lustres éclatants",et c’est le retour à Londres en 1972 pour débuter une carrière dans une agencede décoration.

 

Entouré de meubles clinquants et dequalité au mieux passable, André Dubreuil nourrit "un dégoût ducontemporain" et, comme exutoire, travaille les weekends dans diversmagasins d’antiquités. Il prendra même une boutique en 1974 où, toujoursiconoclaste, il se plait à proposer du mobilier Louis XVI ou Empire là où legoût britannique est aux meubles néoclassiques et décapés. Dubreuil rejointensuite l’antiquaire et décorateur Christophe Gollut, qui lui confie rapidementdes chantiers où le jeune artiste déploiera avec fougue des décors peints en trompe-l’œilinspirés par l’art Italien. Sa manière glamour séduit parmi la haute société etl’aristocratie anglaise, pour qui il décline à l’envie fausses architectures etexcentricités décoratives.

 

Autour de1981, Dubreuil commence à fréquenter Tom Dixon et les membres du mouvement"Creative Salvage" ("Récupération Créatrice")où règne l’esprit DIY[3]hérité du Punk. De ces fréquentations lui viendra notamment l’atavismed’intégrer à ses créations des éléments de récupération.

C’est lors du chantier pourla décoration de "Rococo" - un chocolatier de Kings Road- qu’André Dubreuil créé ses premiers objets. Engagé en mai 1985 pour y peindredes arabesques aux murs, il se retrouve à aider un Tom Dixon en retard sur lasoudure de ses meubles. C’est une révélation pour l’artiste qui sesouvient: "j'ai soudain pris goût au fer à souder, c'est commesi, brutalement, j'étais "tombé dedans"."[4] Dubreuil s’installe alors un atelier dansle salon de son appartement Londonien, où il accueille régulièrement Tom Dixonet Mark Brazier Jones avec qui il expose ses premiers meubles.

Viendraensuite une exposition personnelle en 1986 sobrement intitulée "Furnituresby André Dubreuil" ("Meubles par André Dubreuil")mais judicieusement sous-titrée "The necessity of ornementation"("La nécessité de l'ornement"). Un sous-titre perspicace car,déjà, le mobilier de Dubreuil s’affranchit de la froideur angulaire de sescontemporains pétris de minimalisme. L’artiste proposent en effet – toujours dansdes matériaux de récupération - des formes héritées du répertoire classique oùrinceaux et volutes finissent par se confondre avec la structure même de lapièce. Les archétypes mobiliers hérités des grands styles ne sont cependant ni copiésni rejetées par Dubreuil. Ils sont simplement là. En filigrane comme le seraientles gammes d’un musicien. André Dubreuil connait intimement ces standards, dansleur histoire, pour les avoir étudiés, et dans leur construction pour en avoirfait commerce

Mais c’est lefer à béton qu’il travaille alors, dans un corps à corps intime et bagarreuravec une matière qu’il courbe (le plus souvent à la main) avant de la souder. Ily a chez Dubreuil  une forme d’insolenceet de complexité résolue par une manière de créer affranchie des travauxpréparatoires : "je me méfie du dessin, sur le papier tout fonctionnetoujours, la réalisation, c’est autre chose …"[1].L’iconique "Spine Chair" qu’il créé cette même années 1986 estl’incarnation de cette première manière : une pièce en acier plié dont lescourbes organiques et dramatiques s’opposent radicalement au minimalisme de sescontemporains.

 

Par suite, la notoriété de Dubreuildevient internationale et il expose au Japon et à New York en 1986 avant de participeren 1987 à l’exposition collective parisienne "English Eccentrics"(aux côtés de Tom Dixon, Jasper Morisson, John Webb et SueGolden).

Suite au succès critique de l’évènement, AndréDubreuil fait la rencontre de GladysMougin, qui deviendra sa galeriste exclusive et organise sa première expositionpersonnelle à Paris, en mai 1988. Toujours composée de matériaux derécupération, les œuvres de l’artiste s’y révèlent plus baroques avec notammentl’apparition d’un nouveau médium décliné comme élément décoratif : lesplaques d’acier et de cuivre patinées. C’est à cette occasion que Dubreuil crééses modèles "Paris" en tôle d’acier pliée, soudée etfinalement oxydée au chalumeau d’un décor couvrant de points colorés. Séduitpar un art "entre le baroque et la Science-Fiction à la Conan"[2],le couturier Karl Lagerfeld achète plusieurs pièces pour son usage personnel.

 

Désormaisreconnu et soutenu tant par sa galeriste que par les commandes de ses afficionados,André Dubreuil peut laisser libre court à une manière de créer singulière, oùréitération et poncifs n’auront jamais leur place. La répétition a en effet tendanceà lasser l’artiste : "c’est tellement ennuyeux de faire des chosessimples (…) alors que ces meubles compliqués me provoquent, me forcent àtrouver des solutions, ils ont un côté bâtard qui m’attendrit."[3]

C’est en cesens que Dubreuil refusera une production autre qu’en petites séries, préférantles pièces uniques et refusant toujours les rééditions. En ce sens égalementqu’il n’aura de cesse de rechercher le nouveau matériau à travailler, lesnouveaux effets de matière à inventer. Ainsi - par exemple - du fer forgé dont iladopte la noire matité pour l’habiller de métaux patinés, émaillés et gravés,comme autant de peaux tatouées de motifs géométriques ou évoquant algues etbranchages.

Les enthousiasmes et les lassitudesfaçonnent ainsi, d’années en années, une œuvre unique. Profondément opposé aufonctionnalisme qu’il moque avec esprit ("si on était fonctionnalistes,on serait toujours assis sur des rochers"[4]),Dubreuil n’aime guère le qualificatif de designer et se considère plutôt commeun artisan. Pour lui en effet il n’y a que par l’imperfection du travail manuelqu’on peut espérer "laisser un peu de son âme dans les pièces créées."[5]Et c’est pourquoi chacune des créations de Dubreuil porte en elle unpeu de la poétique d’un artisan passionné par les milles secrets du métal etdes formes à découvrir.

 

En 1992,Dubreuil fait ses adieux à la capitale anglaise pour revenir s’installerdéfinitivement en France, dans une propriété familiale du Périgord dont ilréinvestit une grange pour en faire sa maison. A quelques mètres de sonhabitation, une autre grange est aménagée en atelier. C’est ici qu’AndréDubreuil réalisera désormais toutes ses œuvres, de la forge aux émaux enpassant par la céramique et la serrurerie (seule la fonte du bonze est externalisée).Au sein de l’atelier règne l’esprit du compagnonnage, l’artiste étant attentifà ce que chacun de ses collaborateurs sache tout faire et puisse ainsi changerde tâche ou de technique selon les besoins. Démiurge généreux, André Dubreuilse réserve une seule part de la création, celle de l’ornementation des plaquesde métal qu’il calligraphie à l’acide ou recouvre de décors orientalisants quicontrarient les verticalités structurelles des meubles qu’ils habillent.

 

AndréDubreuil s’éteint brutalement en avril 2022, laissant derrière-lui un héritagehumain et une œuvre qui conserve sa part d’énigme. Le critique et historiend’art Lionello Venturi l’a écrit : "c'est une erreur que de vouloirchercher le sens de l'œuvre d'un artiste hors de son monde à lui". Quidà cet égard du monde d’André Dubreuil ? L’artiste était – semble-t ’il – aussiaimable que taiseux. Aussi son univers reste pour nous celui de conjectures quinous perdent entre les Années 1980 et 1990. Entre Londres, Paris et le monde commeune bibliothèque. Entre l’héritage du Punk, la New Wave et BoyGeorges. Entre le dandysmeet toute une nébuleuse d’expérimentations à l’énergie authentiquement Pop.

Lors etface à ce mystère on se souviendra des mots de Jean Genet : "Il n’estpas d’autre origine à la beauté que la blessure singulière, différente pourchacun, cachée ou visible, que tout homme garde en soi, qu’il préserve, où il seretire quand il veut quitter le monde pour une solitude temporaire maisprofonde." [1]

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