Jože Plečnik, né à Ljubljana, capitale de la Slovénie alors sous domination austro-hongroise, était le fils d’un menuisier. Dès son enfance, il montre un intérêt marqué pour le dessin plutôt que pour l'ébénisterie, bien que son père souhaitât qu'il reprenne l'atelier familial. Après une formation à l’école technique de Graz où il étudie l’ébénisterie tout en s’initiant à l'architecture, il poursuit son apprentissage à Vienne dans une entreprise de menuiserie. En 1894, il intègre l’atelier du célèbre architecte viennois Otto Wagner, où il s’imprègne des principes de la Sécession viennoise. Il participe notamment à la réalisation du métro de Vienne et obtient son diplôme d'architecte, ce qui lui permet de recevoir une bourse pour un séjour à Rome, qui marquera un tournant dans sa carrière.
Membre actif du mouvement de la Sécession, Plečnik réalise des villas dans le style Art nouveau, mais son approche évolue rapidement. Dès 1903, avec l’immeuble Zacherl, il se distingue par un mélange audacieux de rigueur moderne et d’éléments baroques. En 1910, il reçoit la commande de l’église du Saint-Esprit à Vienne, où il fait preuve de son originalité en utilisant le béton comme matériau structurel et décoratif, bien avant Auguste Perret. Ce projet, avec sa forme classique et son monumental fronton, amorce une série d’édifices religieux où sa foi catholique s’exprime pleinement. En 1912, il est pressenti pour succéder à Otto Wagner à la tête de l'Académie des beaux-arts de Vienne, mais son échec à obtenir cette position le marque profondément.
L’après-guerre inaugure une nouvelle phase dans la carrière de Plečnik, qui divise désormais son temps entre Prague et Ljubljana. À Prague, il entreprend la transformation du Château de Prague, réaménageant les jardins et créant des salles en harmonie avec le passé tout en y introduisant des éléments modernes. Intime du président Masaryk, il joue un rôle clé dans l’aménagement de l’espace présidentiel et la modernisation de la capitale tchécoslovaque. Cependant, c’est à Ljubljana que son influence se fait sentir de manière la plus marquante. À partir des années 1920, il prend en charge l'urbanisme de la ville et la transformation de ses espaces publics. Il y réalise des œuvres majeures comme l’église Saint-François de Šiška (1925-1931) et la Bibliothèque universitaire (1936-1941), qui témoignent de sa capacité à fusionner traditions classiques et modernité. À Ljubljana, il occupe également un poste de professeur à la faculté d’architecture, formant plusieurs générations d’architectes.
Après la Seconde Guerre mondiale, la montée du régime communiste en Yougoslavie et l’influence grandissante de Tito amènent Plečnik à une forme de marginalisation. Son style néo-classique et son catholicisme sont désormais perçus avec méfiance par les autorités. Ses commandes publiques se réduisent et ses projets sont progressivement limités à de petites fontaines et monuments. Son dernier projet majeur, en 1956, est un pavillon de repos pour le maréchal Tito à Brioni.
Cependant, l’exposition consacrée à Plečnik en 1986 au Centre Georges-Pompidou à Paris redécouvre l’importance de son œuvre, longtemps éclipsée par les architectes du Mouvement moderne, qu'il n’a jamais apprécié. Critique du rationalisme hygiéniste des modernistes, il considère le travail de Le Corbusier comme une expression froide et fonctionnelle, dépourvue de la richesse spirituelle et formelle qui caractérise ses propres créations. Plečnik, qui a toujours puisé dans l'architecture classique et la culture de l’Europe centrale baroque, apparaît ainsi comme un précurseur du postmodernisme. Il a réinventé les formes antiques, jouant avec les colonnes, les chapiteaux et les proportions classiques. Son œuvre demeure profondément marquée par sa foi catholique, qu’il a intégrée dans ses projets non seulement comme un élément esthétique, mais aussi comme un véritable principe spirituel. En dépit de sa marginalisation dans les dernières années de sa vie, Plečnik reste l’un des architectes les plus singuliers et influents du XXe siècle, alliant une vision radicale de la modernité à un respect profond de la tradition.