PIERRE CHAREAU (1883 - 1950)
"C'est tout cela l'art décoratif, et bien d'autres choses encore. Ce que l'on dit de la richesse lui est tout à fait applicable : s'il ne suffit point seul à donner le bonheur, il y contribue du moins, et puissamment."[1] 

PIERRE CHAREAU (1883 - 1950)

Pierre Chareau naît à Bordeaux en 1883 et étudie à l'Ecole nationale des Beaux-Arts de Paris avant d’entrer en 1903 comme calqueur, chez Waring and Gillow, une firme anglaise d'ameublement établie à Paris. Héritière du mouvement britannique des Arts & Crafts, cette entreprise exaltera son goût pour le travail artisanal, la simplicité des lignes, la précision des proportions et l’économie d’ornements. Il y apprendra notamment beaucoup sur les méthodes de travail et de création de l’École de Glasgowou des Wiener Wekstätte d’Hoffmann, qui influeront plus tard sur sa pratique. Mobilisé dans l'artillerie en 1914, Chareau quitte Waring andGillow, remplit ses devoirs militaires et s’installe à son compte en 1919 comme architecte et créateur de meubles.

 

Regroupant architectes, artistes et artisans, l’Atelier Pierre Chareau rencontre ses premiers clients par l’intermédiaire de l’épouse de Chareau : Louise Dyte (surnommée "Dollie"). C’est en effet elle qui présentera à son mari ses deux plus grands commanditaires et soutiens : Anna Bernheim et le docteur Jean d'Alsace. Pierre Chareau réalisera l’aménagement de leur appartement du boulevard Saint Germain en 1919, et notamment "Le bureau et la chambre d’un jeune médecin" qui seront présentés au Salon d’Automne de la même année. Il décorera ensuite la maison de campagne des Bernheim en collaboration avec Jean Lurçat qui dessina les tapisserie des meubles dessinés par Chareau. Ces premières réalisations et l’entremise de "Dollie" amènent ensuite à Pierre Chareau plusieurs autres commandes de meubles et d’aménagements intérieurs.

 

À partir de 1922, sa collaboration avec le ferronnier Louis Dalbet, lui permet de poser les bases de son style mobilier : des meubles souvent mobiles et modulable, combinant le fer forgé brut et des matières raffinées. Le métal restera cependant pour Chareau le médium de nouvelles perspectives, parmi lesquelles ne figure pas la production industrielle. La fréquentation des peintres cubistes participe également des sources d’inspiration de son mobilier où il déploie lui aussi une simplicité volontaire des formes et une géométrie dépouillée.

Ce style résolument moderne et au lyrisme rationaliste lui vaudra de meubler les décors de deux films du réalisateur Marcel l’Herbier :l’Inhumaine (1924) et Le Vertige (1926). Durant cette même période, il ouvre "La Boutique" au 3 rue du Cherche-Midi, ou il organise des expositions de peinture (entre autres de Braque, Juan Gris, Masson, Max Ernst…)

 

Exposant régulièrement aux différents Salons, Pierre Chareau se fait remarquer de la critique et des amateurs. "Chacun des meubles que signe M. Pierre Chareau est la matérialisation d'une idée, elle-même née du souci de notre bien-être"[2] peut-on lire suite au Salon des Artistes Décorateurs de 1924. Par la suite, en 1925, il recevra la Légion d’honneur pour sa participation à l’Exposition Internationale des Arts Décoratifs et Industriels Modernes de Paris où il conçoit un "Bureau-Bibliothèque à l'Ambassade de France". Aujourd’hui conservée au Musée des Arts Décoratifs de Paris, cet aménagement montre comment Chareau imagine des meubles "structurants", qui font partie intégrante de l’architecture des pièces. On y observe également une veine fonctionnaliste et minimaliste et un atavisme pour les jeux de matière et le dépouillement géométrique des formes qui sera au cœur de ses futures créations mobilières. Son aménagement pour le Grand Hôtel de Tours en 1927 en fait la démonstration avec ses diverses essences de bois côtoyant des luminaires d’albâtre et métal tandis que les colonnes intègrent des étagères et que les portes coulissent pour séparer au besoin les espaces.

 

Sensible aux questions de la Modernité, Pierre Chareau re joint en 1929 l’Union des Artistes Modernes (UAM) pour y participer aux réflexions sur l’émancipation du décoratif vers la fonction, la structure et l’emploi des nouveaux matériaux et techniques afin de proposer un nouvel art de vivre plus adapté au monde contemporain Cette vision transversale de l’habitat moderne et du décor contemporain est transcendée dans le chantier de la "Maison de Verre" débuté en 1928 (toujours pour le Docteur d'Alsace). Conçue comme un espace total, la maison se signale par une façade pavée de carreaux de verre, matériau réservé auparavant aux édifices industriels. Achevée en 1931, elle est un véritable manifeste de la vision de Pierre Chareau avec ses portes coulissantes insonorisées, ses écrans métalliques réglables et ses meubles roulants, escamotables ou rétractables qui structurent l’espace et le rendent évolutif.

De 1932 à 1938, Chareau poursuit ses recherches décoratives et fonctionnalistes, tout en multipliant les demandes auprès du Directeur Général des Beaux-Arts afin d'obtenir des commandes institutionnelles comme l'aménagement de la section architecture du pavillon de la France à l'Exposition internationale de Bruxelles de 1935. Il intervient dans l'aménagement du pavillon de I'UAM à l'Exposition Universelle de 1937 et agencera également le bureau de Jean Marx au Ministère des Affaires Etrangères.  Les années suivantes, les Chareau se heurtent à une baisse des commandes de particuliers ou de sociétés de par les effets combinés de la récession économique et de la difficulté à élargir une clientèle qui reste in fine un cercle très restreint. Les difficultés financières s’accumulent et Pierre Chareau sera même contraint de vendre sa collection d’art (il possédait des œuvres de Picasso, Modigliani ou Mondrian) pour fuir l’Européen Guerre et s’exiler à New York avec son épouse, en 1940.

Là, et dans des conditions matérielles parfois précaires, Pierre Chareau participe à quelques conférences, organise des expositions et intervient ponctuellement dans quelques aménagements intérieurs. L'une de ses dernières réalisations est la maison-atelier du peintre américain Robert Motherwell, en 1947 réalisée à partir d’éléments d’anciens hangars militaires. Faute de pouvoir le payer, le peintre cède à Chareau une portion de sa parcelle. Ce dernier y commence la construction d’une maison à son usage, mais décèdera à l’été 1950 sans l’avoir achevée.

 

S’étendant sur une période relativement courte, l’œuvre de Pierre Chareau reste d’une grande singularité et marque la transition entre l’Art Déco et le Modernisme. Véritable jalon dans l’histoire des arts décoratifs, Chareau reste une référence et une inspiration pour nombre d’architectes et designers lui ayant succédé. Une portée artistique que résuma Francis Jourdain : "Il n’est de tradition véritable que dans l’audace, voir la témérité. Chareau fut téméraire (…) Aussi, ne renia-t-il rien du passé : n’est-ce pas "en allant vers la mer que le fleuve reste fidèle à sa source" ?"[3]

 

[1] Maximilien Gauthier in L'Art et les Artistes, n°45, mars 1924, page 286

 

[2] ibid. page 283

[3] Francis Jourdain dans sa préface pour le livre de René Herbst: "Un inventeur …l’Architecte Pierre Chareau", Editions du Salon des Arts Ménagers, Paris, 1954.

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